Chemins de traverses

les mots...

 

 

Danser est une façon de toucher concrêtement à un art de vivre, plus encore un art du Vivant. 

Danser est un regard.

Je le vis comme une révolution en soi, une révolution en tout, libre parce que cette danse habite chacun de nous, elle se révèle libre, sans forme établie, riche de nos différences mais aussi ce qu'il y a de commun en nous. 

Cette danse vibre de mille couleurs, elle est multi-vers, unie à l'infini.

 

La danse de l'être n'est pas une danse codifiée, n'est pas une danse formelle.

Elle est celle qui ne se soupçonne pas, elle est celle qui traduit l'instant présent, votre relation à l'énergie de vie, elle révèle votre être simplement. nl

 

"C'est dans la nature seule que le danseur doit puiser ses inspirations." Isadora Duncan

 

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Ma démarche artistique est de révéler par le geste, les perceptions de l'instant ... comme un témoignage, 

Qui suis-je là maintenant, mieux encore, qu’est ce que je ne suis pas, là, lorsque ça danse... sans "moi".

Ça demande le risque de ne pas savoir ... silence et détente, le corps juste, le mouvement vrai, authentique.

Corps-espace in/out et attention sont les voies que je tente d’explorer pour apaiser par le geste.

 

 

Que ce soit au travers la danse ou le yoga, être danseuse ou pratiquante/enseignante, le questionnement est toujours le même : Restituer ce qui veut se dire, ce qui veut se partager et faire sens, sans effort.

Pour cela, naturellement mon seul support est l'Écoute ou l'Attention subtile de l'instant qui se vit et se renouvelle sans cesse. 

Aujourd'hui, après des années, j'y associe la respiration, la perception du poids, non celui dont je veux me débarrasser, mais celui qui me donne substance, m'assemble en me rapprochant de ma/la terre, mon ventre-hara, en toute tranquillité.

j'ai le sentiment que le fait de prendre appui au-dedans est le départ d'une marche vers le sentiment de paix.

Le processus est long mais il m'apparait être le plus important, le plus sûr.

Je me sens assise, alors je danse, je me sens assise au-dedans alors je pratique.

Le sentiment de tranquillité m'habite et, j'intègre subtilement que c'est par cette voie qu'il me faut passer pour danser, respirer la danseuse, l'individu que je suis.

... dire oui à la danse qui se révèle.

Rendre visible le processus de transformation permanent est mon désir, une nécessité. 

De la transparence sinon rien.

 

 

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... vivre la danse ... à la recherche du yoga... 

 

Jusqu’à présent, j’ose penser que mon parcours professionnel me permet de rechercher, de découvrir et d’emprunter les « Nadis* de l’espace », autrement dit, mettre en évidence et emprunter un espace multidirectionnel : l’espace lointain, l’espace proche et l’espace à l’intérieur du corps… 

Je fais volontairement ce rapprochement avec les nadis*, circuits énergétiques de l’anatomie subtile du corps dans le yoga, parce que j’entrevois là une magnifique correspondance entre le monde de la danse et celui du yoga, je désire évoquer la Présence.

Je suis danseuse interprète. Jusque-là, une de mes recherches artistiques avec la chorégraphe Laurence Saboye a résidé dans le développement de la perception. 

J’apprivoise les 5 sens : la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût. 

Ce travail est amorcé le plus souvent en pleine nature, en forêt… à cet instant… Je suis en parfait éveil, comme en alerte de tout ce qui m’entoure et je récolte de la matière, une matière visuelle, tactile, olfactive … un matériau qui étoffe mon corps et mes émotions. J’aiguise mes sens, ma faculté d’écoute. J’attends et tout vient à moi…

Chaque bruit me permet soit de « suspendre » ma présence ou bien de l’ancrer. Je vais vers ou bien contre, chaque bruit vient nourrir mon assise, verticale ou non, et ce que je perçois me fait agir ou non. Je fais l’usage du choix, c’est le monde des subtilités.

De toutes ces perceptions surgissent les mouvements, des micro-mouvements, un espace multidirectionnel in et off, différents souffles, chaque odeur nourrit l’épaisseur de mon corps, mes yeux, mon désir d’atteindre, ou de me déposer, je possède ainsi toute une palette de moteurs de mouvement, … 

Dans ce travail, je suis de la même façon très attachée à mon costume. C’est lui, « parce que je l’écoute », qui me murmure à quel moment j’avance dans la danse. Ma peau « reptilienne » laisse glisser la peau du costume…S’il est fait de gaze chirurgicale, et si je ne l’écoute pas, il se déchire. 

À l’écoute, mon corps s’arrange et j’avance !

En plus de fabriquer cette « hyper sensorialité », proche de l’animalité, je développe la mémoire des sens. 

Ces sens que j’ai perçus et mémorisés, je les convoque et les intériorise de façon à restituer ce qu’ils provoquent encore en moi. 

C’est comme s’ils étaient là ! Je suis dans un état de grande disponibilité. Et si même la mémoire préside, je dois faire comme si c’était la première fois, neuve… ainsi, toutes mes impressions sont intactes et me bouleversent tout autant.

Le corps tout entier, pour tendre toujours vers une substance poétique et vibrante… Je travaille la présence, je suis présence, libre de toute idée de projection.

 

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A propos de l'Opéra "Rimbaud ou la parole libérée" de Laurence Saboye et Marc Antonio Perez Ramires

 - Montpellier 2007 -

 Ma rencontre avec Laurence Saboye (Cie Ombre & Parenthèses-2002) fut troublante, j'ai retrouvé ma danse d’enfant. 

... là, de nouveau, ...les yeux fermés, dans ma chambre, le soir, avant de me coucher, saisissant, effleurant dans le secrêt d'une énergie subtile des partenaires invisibles, la douce complicité du vide...et percevoir peut-être dans le lointain, un sourire, et pressentir les premières lueurs d'un Tout ?

Ce que je fais dans cet opéra,

Cela a commencé à l’ESBAMA Montpellier dans une salle « aquarium », il faisait chaud, les murs, le sol en béton, de grandes vitres, un endroit brut sans rien pour nous rattacher, ni même nous identifier. 

Déjà, dans ce lieu, six mois avant de nous glisser dans les peaux de lourds draps et corsets, Isabelle Dufau, Laurence S. et moi-même, nous étions contenues. Les premiers mots, la parole de Rimbaud est apparue au travers nos voix, calme, neutre de Laurence… 

Très vite, chacune avec notre constitution, nous nous sommes pris « en plein », la furie, l’égarement, l’urgence, et les murmures du parlé de Rimbaud.  Rapidement Laurence nous a proposé la marche. Marcher, et plus tard c’est comme si de nos « carcasses », sortaient les pas et les mots.

L’intérêt dans le travail sur la perception, c’est que jamais une image n’est produite pour être plus tard répliquée.  Le travail ou la pratique m’entraîne à vivre un état, je ne veux pas dire que je deviens la course, ou bien même Rimbaud, mais je suis complice d’une ambiance, d’un air palpable, à ce moment précis presque masculin… 

Toujours en état de veille,  je perçois un certain goût, une certaine odeur, tout cela réuni s’arrange pour être le premier artisan, témoin de la danse. C’est comme traverser les champs de Charleville-Mézières sans jamais y avoir été… être le témoin paisible d'’intuition parce qu’elle se fait urgente, sans contrôle, elle s'impose.

Je suis comme enveloppée…

Les présences physiques et particulières des danseuses Isabelle Dufau, Laurence Saboye, des six chanteurs, des instrumentistes, les images projetées des trois plasticiennes, sans oublier la lumière, et la présence physique des spectateurs … tous s’interpénètrent et sont  uniques à la fois. Cernés et nourris par le langage de Marco-Antonio Pérez-Ramirez et de Christophe Donner, tous mutent vers un même corps,une même substance, et se rapprochent de Rimbaud, égaré sous la pression d’un XIXème siècle. 

Laurence se demande ce qu’elle fait là, « dans cette histoire d’hommes ». Et je me demande ce que je fais là, devant les images d’Augustine, la femme laboratoire préférée de Charcot dans les livres proposés par Laurence pour comprendre le cours des femmes dans cette fin du XIXe siècle.

En lisant et en écoutant de nombreux textes …, en ne m’habituant pas aux photos des hystériques de La Salpetrière, mon interprétation à aucun moment ne réside ni dans un mimétisme, ni dans une quelconque ressemblance. Le costume fait d'un corset et d'une robe lourde me maintient, la peau dessous parfois s’habitue, parfois résiste. Le XIXème siècle est là, contenu dans la mémoire collective. C’est un vertige des sens qui submerge tout le corps et peu à peu donne raison à toutes ces femmes examinées, explorées, vidées, qui s’abandonnent à leur seul langage pour être enfin révélées ... 

Les jeux de poids, de suspensions, la mémoire de la perception, … Tout est présence ... j’avance et j’ajuste sur l’instant à l’écoute de connexions subtiles…Je suis nourrie, parce qu’étoffée de tous les langages, de tous les désirs réunis sur scène pour libérer la parole, la mienne, celle de Rimbaud ou bien d'un autre, qu’importe.

 

Natacha Liège